« Méditerranée, terroir divin » : Reportage en Croatie : Île de Korčula_1– Textes : Laurence Crinquant – Photographies : Claude Cruells



Rencontre avec Frano Bire et Stipe Nobilo 



 

Nous quittons la marina de Zlatan le 19 mai à 8h15. Après avoir traversé l’Île de Hvar, nous nous présentons à l’embarquement à Sucuraj pour prendre le ferry de 10h30. Nous y découvrons une dense farandole de bus, camions, camping-cars … et commençons à sérieusement nous inquiéter : aurons-nous une chance de prendre ce bateau ? En effet, malgré un billet acheté à l’avance, l’accès au bateau se fait par ordre d’arrivée ! La chaîne des conséquences serait préjudiciable sur notre programme : ne pas pouvoir enchaîner les trajets par route puis par ferry, devoir franchir l’enclave bosniaque en voiture et prolonger le déplacement de plus de 3h30… Ainsi en va-t-il de nos réflexions tandis que nous maugréons sur nos sièges. Cela fait plus de trois semaines que nous avons entamé ce reportage et la fatigue se fait sentir. Que ce soient les aléas de la météo ou ceux de la logistique (et nous avons pu expérimenter quelques déconvenues), nous sommes dans un de ces moments où prévalent les désenchantements plutôt que les émerveillements.

Puis, tout s’apaise, comme par magie et nous foulons bientôt le sol de l’île de Korčula vers 17h30.

Pour les quelques jours à venir, nous établissons notre camp de base à Lumbarda dans la pension Marinka. Nous y rencontrerons 2 vignerons remarquables :  Frano Bire et Luka Krajancic.

Nous vous invitons aujourd’hui à découvrir l’univers de Frano.

A propos de Korčula

Korčula, la ville, c’est un véritable musée en plein air. Mais au-delà, c’est un véritable théâtre de verdure aux abords des villages de viticulteurs, de producteurs d’huile d’olive et de pêcheurs. Sur ce territoire, on trouve du vin rouge (Plavac) et blanc (Pošip, Grk et Rukatac) et de l’huile d’olive pressée comme autrefois.

Île la plus peuplée de Croatie, cela fait plus de cent ans que les visiteurs sillonnent l’île. Ici, les artistes rivalisent et jouent avec sa beauté.  Tout comme elle a inspiré des Marko Andrijić, Blaž Jurjev Trogiranin, Ivan Progonović, Tintoret, de Tiziano Aspetti, de Leandro Bassano, c’est notre photographe qui vient à présent à la rencontre de cette terre insulaire splendide. A la rencontre de sa nature, mais aussi à la rencontre de ceux qui modèlent ses paysages et de l’un de ses artistes contemporains, Stipe Nobilo, qui lui s’en inspire sans ses magnifiques tableaux.

Frano Bire, un vigneron remarquable

Nous rencontrons Frano sur sa propriété. Entre préservation et rénovation, il est fier de nous montrer sa « winery » et les installations mêlant harmonieusement technologie moderne et architecture de pierres. Nous constatons encore une fois que les vignerons croates savent s’adapter tout en gardant leurs trésors patrimoniaux. Recourant aux matériaux du terroir à base de pierres blanches, Frano a remis en état les différentes maisonnettes qui servaient autrefois aux différentes cultures en présentant dans chacune une étape de la préparation du vin, de la mise en bouteille ou de l’étiquetage.

L’ensemble, authentique, s’intègre parfaitement dans le village !

Le développement du vignoble dans cette partie de Croatie remonte à l’époque de l’Empire austro-hongrois. Ce dernier investissait alors dans les vignobles et la construction de ports afin d’en importer les fruits au pays, mais aussi pour en récupérer les grappes pour sa production de Riesling.

4ème génération de vignerons, Frano, à l’instar d’autres vignerons rencontrés précédemment, retrace cette période où l’on ne pouvait vendre son vin en dehors des coopératives de l’État. Jusqu’en 1990, ce sont les tables et chambres d’hôtes qui ont permis aux siens de faire découvrir leurs vins, déjà qualitatifs.

Aujourd’hui âgé de 64 ans, Frano se dit très heureux d’être vigneron depuis ses 31 ans et assure que c’est sur cette voie qu’il s’exprime pleinement.

Le Vignoble de Frano

Son vignoble se situe dans un rayon de 5 km autour de Lumbarda, sur 5 sites différents. Il s’agit d’environ 4 hectares de parcelles lui appartenant plus 3 autres hectares pour les grappes, assurant une production de 40 000 bouteilles par an.

Lumbarda est réputée pour son cépage endémique le grk (prononcer geurk) qui signifie amer. Effectivement, nous ne décelons aucune note de fruit à la dégustation. Le climat et les conditions sont très propices à la culture de ce cépage et à une récolte qualitative chaque année. Frano nous indique que d’autres ont essayé de l’implanter ailleurs mais avec des réussites très mitigées et irrégulières. La spécificité de ce vignoble s’est révélée lors des années de phylloxéra. Ce terroir, avec ses pierres blanches et ses conditions distinctives, a contrarié le développement de cette maladie dans le vignoble. Le grk se développe en effet grâce à la pollinisation des fleurs femelles. Cela nécessite la présence d’au moins 20 % de cépage de plavac mali, en alternance avec les rangées de grk. On distingue facilement cet agencement original : les rangées de plavac mali possèdent des branches qui s’étalent et s’ouvrent largement tandis que les branches du grk pointent vers le ciel…

Frano nous explique que le plavac mali des parcelles en bord de mer sert à faire son rosé, alors que les grappes des autres parcelles et notamment celle de Defora, sont dédiées au vin rouge.

C’est d’ailleurs sur cette parcelle, à laquelle il voue un profond attachement, que Frano nous amène immédiatement. Nous nous retrouvons face à un écrin que sertissent garrigue et maquis, face au bleu éclatant de l’Adriatique. Il a entièrement rénové ce vignoble familial, notamment les vieux murs extérieurs, en concassant les pierres à l’intérieur pour en assurer une implantation linéaire et régulière.

Pour lui toutes les conditions sont idéalement réunies :

– aucun voisin donc aucune incidence extérieure possible sur sa gestion du vignoble ;

– un très bon drainage des sols ;

– l’installation d’un système d’irrigation qu’il n’utilise qu’en cas d’aridité extrême ;

– du bon vent, pas d’humidité…

Nous constatons d’ailleurs que ce vignoble est de loin le plus en avant dans sa croissance que celle des vignobles croates que nous avons  jusqu’à présent découverts. Le rendement court d’un demi-kilo à 1 kilo de grappes par pied. Vu la faible profondeur possible, il n’est pas possible de produire plus…Frano laisse la nature faire la sélection et ne procède à aucune vendange en vert ! Frano précise que les vendanges se déroulent dès le 12 août. C’est cette parcelle qui donne ses meilleures cuvées tant en grk qu’en plavac mali. Il en obtient 2 à 3000 bouteilles, mono-parcellaires (soit moins de 10% de sa production).

La philosophie de Frano

Les jours suivants, nous découvrons l’univers et la philosophie de ce vigneron remarquable. Nos échanges, notamment, lors d’une magnifique dégustation de toute sa gamme, nous permettent de mieux saisir son idéologie. Ce que nous retenons de lui, c’est qu’il est avant tout dans une démarche de réflexion permanente à des fins de création. Selon lui, tout vigneron a sa propre démarche, et, même si la technique est importante, elle est insuffisante. La spiritualité, elle, est fondamentale.

Pour cet homme surprenant, c’est le vin qui prévaut : « tout peut attendre excepté le vin, même s’il requiert du temps ». Et il faut savoir laisser le temps au vin pour qu’il parvienne à son apogée. C’est une des raisons pour laquelle, malgré des années de pratique, Frano nous dit « apprendre » chaque année. A présent qu’il maîtrise la logique et à la « mathématique » de la vigne, c’est l’instinct, le feeling qui doit prendre le dessus… Un savoir et une humilité qu’il pourra transmettre à ses trois fils …

Alors que nous dégustons sa cuvée de Grk Defora 2016, il nous confie que selon lui c’est un millésime d’anthologie, un vin parfait avec un potentiel de garde d’au moins 10 ans ! Nous y découvrons de fait un vin équilibré, minéral mais devenu plus soyeux et gras grâce à son vieillissement dans une vieille barrique de 2000 litres. Nous lui faisons observer qu’il nous évoque un très bon vin blanc de Bourgogne : les yeux de Frano pétillent !

Plus tard, en réponse à notre question, et à l’instar de Moreno Coronica en Istrie, il dit ne constater aucun changement climatique actuellement. Il considère plutôt qu’il s’agit d’une une période correspondant à un cycle.

Enfin, rituel de « Méditerranée, terroir divin », nous demandons à Frano ce qu’il souhaite transmettre aux générations futures. Nous ne sommes pas étonnés, après ces échanges passionnants, qu’il nous réponde :

« Comme dans votre projet et le carnet de voyages, comme dans l’œuvre de Stipe, et tout comme dans mon vin, c’est la même philosophie, celle de la Terre et de la Méditerranée. »


Rencontre avec l’artiste croate Stipe Nobilo

C’est dans une vieille et spacieuse bâtisse, au cœur du village de Lumbarda, que Frano Bire nous présente l’artiste Stipe Nobilo, 74 ans. Nous avions en effet pressenti ce peintre pour réaliser la couverture du carnet de voyages 2019, conformément à notre souhait qu’un artiste méditerranéen, issu d’un pays exploré au cours de la campagne, l’illustre.

C’est avec un charmant accent que Stipe nous dit quelques mots de français et admet ne pas parler anglais. Evidemment, après 3 semaines de reportage, nous sommes nous-mêmes bien loin de parler le croate! La conversation se poursuit donc en anglais avec son fils Marko comme traducteur. Après leur avoir présenté le projet « Méditerranée, terroir divin », ainsi que notre dernier carnet de voyages, Stipe nous demande sans détours comment il peut nous aider… Nous sommes très touchés par sa proposition : Spipe Nobilo réalisera donc la couverture de la prochaine édition pour notre plus grande joie !


Impressions de reportage

 

Une étape merveilleuse…

Des paysages époustouflants…

Un vigneron-philosophe…

Un peintre-philosophe…

La sagesse dans les instincts….

 

Extrait du site de notre partenaire les Robes de l’Est sur Korčula et Frano Bire

Le statut de l’Île de Korčula est décrit sur un document juridique datant de 1214, élaboré à travers les siècles. C’est un des plus anciens recueils de la région et l’un des plus anciens d’Europe : A découvrir ici.
C’est parce que sa riche végétation, vue de loin, depuis le large, donnait l’impression que l’île était toute noire, que les anciens Grecs l’ont baptisés Korkyra Melaina. A cette époque déjà, la vigne était une question existentielle et philosophique. Plantée dans des oasis où la terre, baignée par la mer et le soleil, fut amassée à grand-peine; portée par une tradition viticole présente sur l’île de Korčula depuis 2500 ans. Le domaine BIRE se situe à Lumbarda, un petit village entouré de pierre et de mer, les vins cultivés sur le domaine développent de beaux aromatiques.

 

Quelques liens pour en savoir plus :

http://www.vinakrajancic.hr/en/home/

https://www.lesrobesdelest.com/nos-vins/croatie/domaine-krajancic-vins-de-croatie-region-dalmatie/

https://www.tourismecroatie.fr/ile-de-korcula/

https://www.visitkorcula.eu/index-fr.html

https://www.tz-lumbarda.hr/lumbarda-accommodation/pansion-marinka/

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