Méditerranée, terroir divin : Reportage Italie 2018 / Cinque Terre / 24-29 avril – Texte : Laurence Crinquant – Photographies : Claude Cruells


 

Les Cinque Terre : à terroir exceptionnel, hommes exceptionnels

 


Retrouvailles et rencontres dans les Cinque Terre De gauche à droite : 
Heydi Bonanini, Giancarlo Celano, Luca Natale, Massimo Andreoli, Marco Tibiletti

 


Mardi 24 avril :

Nous quittons l’Autostrada Si-Fi* et, levant la tête, admirons une montgolfière suspendue entre ciel et terre. Elle semble annoncer le passage radical d’une Toscane aux horizons courbes à la verticalité des Cinque Terre, prochaine et dernière étape de notre reportage italien 2018. La route est relativement courte vers la Ligurie. A peine le temps de deviner Florence et de frôler le marbre des Alpes Apuanes que nous voici dans le Golfe des poètes, source d’inspiration des prestigieux Percy Shelley, Lord George Byron, David Lawrence, Dante Alighieri, entre autres. Ce havre de paix souffla également au compositeur Richard Wagner le prélude de « L’Or du Rhin ».
Nous nous délestons de nos bagages et de notre équipement à Bramasole sur les hauts de Lerici. Nous nous félicitons d’avoir trouvé cet hébergement, répondant aux exigences de notre logistique souvent complexe. Compte tenu du matériel que nous devons transporter, nous serons contraints d’utiliser notre camionnette pour accéder aux différents sites des Cinque Terre. Notre quad ne sera utile que sur la route nationale les surplombant, l’accès aux villages étant restreint pour les véhicules à moteur. Les parkings sont onéreux et il est en général recommandé d’avoir recours aux trains, aux bus ou aux navettes maritimes pour explorer cette zone étroite.

 

Parc National des Cinque Terre

Première réunion avec Luca Natale

Sur une terrasse du port de la Spezia, nous rencontrons notre ami Marco Tibiletti, skipper de la goélette l’Oloferne. Il est accompagné de Gianpetro, membre de son équipage dans le cadre de l’Association « La Nave di Carta », partie prenante du projet « Museo Navigante ». Heureux de partager une bouteille d’agua frizante avec ces deux hommes, aux visages exsudant l’air marin et le soleil de la Méditerranée, nous attendons Luca Natale. Ses cheveux longs bouclés ceints par ses lunettes de soleil, ce journaliste et chargé de communication du Parc National des Cinque Terre nous rejoint. Nous partageons enfin une tranche de vie avec ce gaillard énergique dont le nom est régulièrement apparu lors de notre travail de « sourcing ». Il maîtrise parfaitement les tenants et aboutissants des quelques 4600 hectares de ce territoire exceptionnel, classé depuis 1997 au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Le séjour s’organise sous les meilleurs auspices : le marqueur orange court sur notre carte des Cinque Terre au gré des contacts que Luca nous recommande. Téléphone portable collé à l’oreille, il griffonne ses indications sur un calepin. Nous sommes attendus!

 


Manarola - Arrivant dans son port, une navette est sur le point de déverser quelques 300 touristes

Redessiner le paysage

C’est ainsi que nous faisons, dès le lendemain matin, la connaissance de Giancarlo Celano de la Fondazione Manarola. Cette association, largement soutenue par les quelques 300 habitants du hameau, contribue vaillamment à la reconstruction et à la préservation des paysages surplombant le village de Manarola, le second en partant de la Spezia. La tâche semble titanesque quand, sommairement installés sur le monorail (trenini) sillonnant ses vignes en terrasse, nous considérons l’épreuve que constitue la réhabilitation d’un terroir aussi accidenté, soumis aux glissements de terrain, aux chutes de pierres et aux coulées de boue. Le Parc National des 5 Terres et l’organisation caritative Caritas épaulent l’initiative et s’emploient à former de jeunes démunis, réfugiés ou chômeurs. Ces derniers apprennent à replanter et à tailler les vignes, à rénover les murs en pierres sèches et à nettoyer les terrains et sentiers, martyrisés par le libeccio et le tourisme de masse dont les acteurs sont ici nommés les mordi e fuggi (allégorie du chien qui mord et s’enfuit). Notre bienveillant Giancarlo prodigue doucement quelques conseils à deux jeunes réfugiés gambiens en train de reconstituer un mur en pierre : « Regarde bien, tu as posé cette pierre de telle sorte qu’elle fragilise le mur » ou encore « Je vois bien que tu as mal au dos. Plie les genoux et accroupis-toi, tu épargneras ton dos ! ». Nous redescendons vers Manarola avec le trenini. Dans une paire d’heures, nous retrouvons notre ami Marco et Massimo, pilote du bateau du Parc National des Cinque Terre.

 


Giancarlo Celano, un homme engagé 

 

Les Cinq Terre vues de la mer

Ce mercredi 25 avril est jour de fête nationale en Italie. Nous étions prévenus. Les enrochements du port de Manarola fourmillent d’activité et deviennent un fascinant amalgame minéral, aquatique et organique sous le soleil tant espéré après un début de printemps houleux et pluvieux. En ce milieu d’après-midi, la lumière ne se prête guère à des prises de vues élaborées. Les GoPros prennent donc du service au gré des timelapses. Nous savourons l’instant. La mer, d’un calme plat, et le ciel à l’avenant semblent ne faire qu’un, azur vertical et nébuleux, tandis qu’à 180° lui répondent des falaises anthracites garnies de leur végétation méditerranéenne. Direction les rives de Riomaggiore, premier village des Cinque Terre en partant de la Spezia. Les façades de ce hameau encaissé déclinent toutes sortes de couleurs vives : ocre jaune, ocre rouge, parme, vermillon et de ça de là, quelques blancs éclatants et tons pierre. Suivent Manarola, Corniglia, Vernazza et Monterosso al Mare, surgissant au détour d’une calanque ou s’élançant vers les flots. Nous retrouvons Massimo dès le lendemain, après avoir réalisé une interview de Giancarlo. Nous traversons un dédale de petites ruelles et notre robuste quinquagénaire, aux allures de Jean Reno, nous dévoile un véritable petit paradis, surplombant les eaux bleues. Son jardin méditerranéen embaume les fleurs d’agrumes, leitmotiv de ces trois semaines de reportage en Italie, et invite à la contemplation et à la méditation. Il nous explique qu’il est régulièrement sollicité par des agences immobilières qui souhaitent transformer sa maison et ses terrasses en Bed & Breakfast ou en location saisonnière. Ce chant des sirènes l’indiffère. Etre ici est inestimable.

 

 

Les villages des Cinque Terre : un festival de couleurs entre falaises, mer et ciel

 


 

Rencontres vigneronnes

C’est à la Cantina Sociale que nous découvrons les caractéristiques des vins des Cinq Terre. Il s’agit de blancs issus de Bosco, Albarola et/ou de Vermentino. L’attribution de l’appellation est stricte :

Extrait Wikipédia : « Pour avoir droit à l’appellation, les vins doivent provenir de vignobles sis uniquement sur des terrains montagneux. Sur ces pentes escarpées, rocailleuses, arides et peu irriguées, les grappes ne sont jamais très grosses et les baies ne contiennent que peu de jus. L’exposition à un fort ensoleillement et des vents obligent à tailler la vigne assez bas. Elle est conduite sur des pergolas d’un mètre de haut et le travail se fait le plus souvent accroupi.

Cette conduite en pergoletta, terme et méthode spécifique des Cinque Terre, permet d’éviter le stress hydrique et les brûlures des feuilles dues aux embruns et au sel. Cependant, quelques viticulteurs commencent à conduire leur vignoble en rangs mais cela oblige à mettre en place un système d’irrigation. L’eau est apportée sur place grâce à des canalisations, dont la mise en place est financée par la cantina sociale.

Pour les nouvelles installations et les replantations, la densité de plantation par hectare ne peut être inférieure à 6 250 pieds. Pour les vieilles vignes, elles se situent entre 5 000 à 7 000 pieds par hectare et chaque pied donne entre 1 et 1,5 kg de raisin, soit un rendement par hectare d’environ 8 000 kg par hectare. »

Après avoir arpenté de nombreuses parcelles en compagnies de vignerons locaux, nous avons pu constater que la conduite en rang est plus qu’omniprésente et semble bénéfique dans la mesure où elle favorise un rendement plus faible mais plus qualitatif des raisins.

Ceci est confirmé par l’un de nos interlocuteurs, Heydi Bonanini, de l’Azienda Agricola Possa. La petite quarantaine, installé à son compte depuis 2004, il fait partie des plus jeunes vignerons de la région. Ici la moyenne d’âge des vignerons dépasse 70 ans. Nous sentons bien la menace qui pèse sur la pérennité de ce vignoble remarquable, et ce, malgré le dévouement de ses acteurs locaux. Selon Heydi, c’est la construction de la route au début des années 60 et ce qu’il qualifie de « globalisation » qui a marqué la dégradation du territoire et de son identité. Après une période de spéculation autour des vins locaux et une intensification de la production au détriment de la qualité, est survenu un phénomène d’exode vers la ville (La Spezia, notamment). Il déplore cette rupture d’une génération dans l’histoire de son territoire. Au-delà du patrimoine viticole (de 1000 hectares de vignes au début des années 60 n’en subsistent plus que 200), c’est toute une cohésion sociale, économique et culturelle qui a été mise à mal. Cette période a sonné le glas d’un système d’entraide et d’échanges entre les habitants des Cinque Terre, mais aussi avec ceux de la vallée voisine, le Val di Vara, qui complétait en circuit court les besoins des autochtones. Nous saluons le courage de ce jeune homme avant d’éprouver le nôtre sur son vertigineux trenini. Entre émerveillement et terreur, c’est heureusement l’hilarité qui l’emporte alors que nous atteignons ses parcelles au plus près du rivage accidenté. Ce sont vraisemblablement celles, de tout le territoire, qui en sont les plus proches. Soucieux d’un retour aux valeurs culturelles et patrimoniales d’antan, Heydi a effectué ses vendanges par bateau en 2017, défiant l’ineffable verticalité de son environnement. Dans les Cinq Terres, où le terme de « viticulture héroïque » prend toute sa signification, l’utilisation de monorails et d’hélicoptères, est en effet devenu ordinaire, mais indispensable.

 

 

Viticulture verticale, viticulture héroïque... 
En hélicoptère par les airs, en trenini par la terre, en bateau par la mer, 
on cultive la vigne et récolte les raisins de manière bien singulière!

 


 

Samedi 26 avril :

Comme un point d’exclamation ultime à notre périple transalpin, notre séjour s’achève avec la rencontre de deux des propriétaires de « Primaterra » à Campiglia Tramonti, petit bourg au nom évocateur. Alors que Walter de Batté nous explique sa philosophie, puissamment liée à l’expression de ce terroir fabuleux, son ami et associé, Ricardo Canesi, entonne la chanson « Mediterraneo » de Juan Manuel Serrat. Cette chanson a été évoquée plusieurs fois, notamment par Luca Natale. Juan Manuel Serrat, auteur-compositeur-interprète espagnol, nous replace au cœur de notre projet, dans cette Méditerranée une et multiple. Ainsi continuera de se dérouler le fil de « Méditerranée, terroir divin », dans les quatre prochaines années, et au-delà… Il tissera les liens entre ses paysages et ses cultures ancestrales, mais aussi entre les femmes et les hommes qui la peuplent.

 


Photographie d'une fresque murale de Silvio Benedetto 
Peintre, sculpteur, muraliste et metteur en scène argentin naturalisé italien 
Cantina Sociale de Riomaggiore

 

 

*Autostrada Si-Fi : route express reliant la capitale toscane, Florence, à Sienne.

 

Quelques liens utiles :

http://www.bramasolelerici.com/

http://www.navedicarta.it/

https://www.museonavigante.it/

http://www.parconazionale5terre.it/

https://www.fondazionemanarola.org/en/

http://www.cantinacinqueterre.com/it/

https://possa.it/

http://www.primaterra.it/

https://www.youtube.com/watch?v=YNkcAUAv1kw

http://www.silviobenedetto.com/sb/it/sb_it.biog.htm

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